Vous vous étiez quittés en bons termes. Ce qui, compte tenu du début de votre conversation, te convenait parfaitement. Certes, tout n’était pas réglé, tu le savais bien, mais c’était un bon début, et vous alliez vous améliorer, et tout ça allait devenir plus naturel. Tu tentais de t’en convaincre alors que tu te dirigeais vers le grenier, conformément à ce qu’il t’avait dit, juste après t’avoir embrassé sur la joue. Tu l’avais regardé partir, soupirant pour finalement le suivre. Tu n’avais pensé qu’à cette soirée-là, te posant mille et une questions. Au fond, elles revenaient toutes à la même : est-ce que tout serait comme avant? Probablement pas. Mais tu pouvais vivre avec ça, avec votre nouvelle relation qui lentement se reconstruisait. Tu avais confiance que vous alliez pouvoir faire quelque chose de bien avec ça, que tu allais pouvoir retrouver son sourire qui te manquait, vos longues conversations dont tu ne te lassais pas. Ton ami te manquait. Réellement. Et à quelque part, tu espérais réellement que ce cours allait mettre un terme à cette semaine de gros malaise. De toute façon, Judah allait définitivement être de bonne humeur : parler de ce qui le passionne, le montrer à une amie, ça lui faisait plaisir, et tu étais en plus l’élève parfaite, enthousiaste et prête à apprendre, même si tu doutais un peu en tes capacités.

Tu t’étais habillée confortablement, avec des joggings et une camisole, portant à tes pieds tes souliers les plus confortables. Tu étais la première arrivée au grenier, sans grande surprise : tu ne te rappelais pas de l’heure que vous aviez convenue, si vous en aviez convenue une. Tu étais donc arrivée un peu plus tôt, tentant dès le départ de ne pas décevoir Judah en arrivant trop tard. De toute façon, arriver en avance démontrait ton intérêt pour la chose, même si du coup, tu devais l’attendre. Tu t’es donc mise à t’étirer, à faire quelques échauffements pour ne pas que tu t’étire un muscle, au cas où. Il n’y avait rien de mieux à faire ici de toute façon, car tu étais complètement seule : le grenier était souvent vide, et tu comprenais pourquoi Judah avait tenu à ce que ce cours se passe ici : vous ne risquiez pas d’être dérangés. Cela te convenait parfaitement. Tu te préparais déjà à être humiliée devant ton ami à cause de tes piètres performances, tu ne tenais donc pas à avoir d’autres témoins. Tu ne te rappelais de rien de ce que Judah t’avait enseigné avant de t’embrasser, ce qui te semblait logique : tu as été tellement troublée que tu n’as même plus pensé à ce qui s’était passé avant. Vous devriez donc reprendre à zéro. Heureusement pour toi, ton ami était un excellent professeur. C’est tout ce que tu avais retenu de son cours, mais c’était déjà assez : il expliquait merveilleusement bien et pouvait recommencer n’importe quel mouvement des dizaines de fois si tu le voulais sans jamais s’énerver. Le rêve.

Tu ne l’avais pas vu entrer, en train de t’étirer, la tête contre ta cuisse alors que tu attrapais ton pied de tes mains. Ce n’est que plusieurs secondes plus tard que tu t’es détendue, relevant finalement la tête et l’apercevant. Tu lui souris donc en te relevant et en t’approchant de lui.

« Alors, monsieur le professeur, par quoi commençons-nous? Ah, et ne m’épargne pas, je suis prête pour une session intense. »

« A student never forgets an encouraging private word, when it is given with sincere respect and admiration. » ► William Lyon Phelps

Tu lui avais souris lorsqu’il était entré, sincèrement contente que tout ce soit arrange. Tu le préférais nettement plus souriant, amical et prêt à te raconter des tonnes d’histoires sur ce qu’il savait plutôt que de le voir se tourmenter. Son timing n’aurait pu tomber plus mal, mais ce n’était pas de sa faute : il ne pouvait pas savoir. Et tu ne saurais jamais si ça aurait pu marcher. Probablement, mais on ne sait jamais, et c’est une question à laquelle tu n’auras jamais de réelle réponse. Juste des hypothèses. De toute façon, ça n’avait aucune importance. Tout ce que tu souhaitais pour lui, c’est qu’il trouve quelqu’un qui puisse l’aimer à sa juste valeur et qu’il l’aime en retour. Qu’il soit heureux, en somme. Quelque chose que tu ne pouvais pas lui offrir. Tu n’étais que son amie. Une bonne amie, certes, le genre qui serait toujours là pour lui s’il avait besoin d’aide, celle qui l’écouterait parler jusqu’à l’aube s’il avait besoin. Parce que tu l’appréciais réellement, là n’était pas le problème. C’était vraiment quelqu’un d’extraordinaire, et tu pouvais t’estimer chanceuse de l’avoir dans ta vie, ne serait-ce qu’en ami et en professeur, pour t’enseigner ce qu’il savait. Tu ignorais à quoi t’attendre pour cette leçon, mais tu espérais simplement que vous en sortiriez moins troublés que la dernière fois. Parce que tu pouvais bien dire ce que tu voulais, tu pouvais bien l’avoir repoussé et l’avoir fui pendant les jours suivants l’incident, ce baiser t’avait troublé. Cependant, ce n’était plus qu’un lointain souvenir maintenant, et vous deviez continuer à vous voir sans plus y penser, en faisant semblant qu’il n’avait pas eu lieu. C’était sûrement mieux ainsi de toute façon.

Tu vins docilement à sa rencontre quand il te le demanda, et rit alors qu’il t’ébouriffe les cheveux. Tu pris l’élastique que tu gardais toujours à ton poignet pour t’attacher les cheveux en un chignon un peu ébouriffé. Ce n’était pas le moment de le contredire, et puis, ne connaissant absolument rien dans ce domaine, tu ne pouvais pas vraiment te permettre de rouspéter. Tu lui faisais confiance, et tu savais pertinemment bien qu’il savait ce qu’il faisait. Alors quand il sortit des languettes blanches de son sac, tu lui as présenté tes mains. « Et en plus il va falloir que tu me montres comment faire, parce que franchement, à part attacher mes cheveux, y’a pas grand-chose que je peux faire. » Tu avais dit cela avec un sourire amusé, mais c’était vrai. Et puis, tu avais beau être plus vieille que lui, tu n’étais pas du tout dans ton domaine, et ici, tu étais l’élève, pas le maître, et il connaissait beaucoup plus de choses que toi dans tout ce qui concernait cet art.

Tu voulais apprendre. Tu le faisais certes, pour lui, mais aussi pour toi. Et puis ça vous permettait de réellement passer par-dessus l’épisode de la dernière fois en recommençant à zéro, en refaisant toute la scène comme elle aurait dû être. Sans erreur, sans anomalie, sans déviation du chemin que vous devriez prendre. Tu étais promise à un autre. Vous n’étiez tout simplement pas faits pour aller ensemble. Du moins, pas maintenant, pas comme ça, pas dans ce monde-là. Vous n’étiez que deux amis, pour le moment un maître et son élève, et il n’y avait plus de place pour ce genre de pensées. Vous vous entendiez bien, vous vous faisiez confiance, tu aurais fait tout ce qu’il te demanderait les yeux fermés. C’était tout ce que vous deviez savoir pour le moment.

Mains protégées et cheveux attachés. D’accord. Mains protégées et cheveux attachés. Étais-tu prête? La réponse sortit de tes lèvres comme si c’était l’évidence même.

« Oui. Je suis prête. »

« There comes a point in your life when you realize who really matters, who never did, and who always will. » ► Unknown