― Name, age, nationality.
― Aphrodisias Opium Blackwood, three years old.
― Nationality?
― Unknown.

***

― Mama! Mama! Why am I white like this?!
― Because you are unique.
― I do not want to be unique! I want to be nyeusi!
― You are. Inside.
― But I want to be nyeusi outside!

***

― Tatu, mbili...

Un des quatre enfants partit avant même que la mère ne finisse de compter. Aussitôt, Opium démarra. Elle était la plus âgée et cela faisait déjà dix ans qu’elle courait dans la savane, les pieds nus, sous le soleil de plomb. Elle savait comment poser ses pieds, comment respirer et surtout comment gagner. Elle rattrapa rapidement le garçon, le dépassa avec un sourire ravis et arriva la première jusqu’au baobab. Son sourire resta en place jusqu’à ce que la mama arriva. Elle ne pût s’empêcher de sourire devant le trou qui habitait la bouche de l’enfant. Les dents tombées avaient été pour la petite un amusement réel. Lorsqu’elles avaient été prêtes à partir, il ne pouvait se passer une minute sans que la fillette ne les fit bouger devant le visage de ses frères et sœurs.

― I won! hurla Opium en sautant sur ses petites jambes.
― You cheated!
― I did not! Jabari did!
― Come on, it is not because you are white you have to be better!
― Kilima! intervint mama.

La petite fille s’arrêta soudain de sourire et, au bout de quelques instants, éclata en sanglots. Kilima ne comprit pas quelle en était la raison, il était bien trop jeune. Cependant, ce fût pour la fillette une des pires journées de sa vie.

***

― Stay close.

La petite troupe marchait tranquillement dans le marché d’un petit village. Les odeurs étaient unique et Opium aurait put rester dans cet espace pendant des années. Les épices, les fruits, les légumes, tout semblait parfait. Si mama avait été d’accord, la petite aurait acheté tous les stands. Mais l’argent n’était pas assez important et il faudrait se contenter du nécessaire. Des légumes principalement.
Tout se passa sans encombre et ce fut avec les derniers shillings que fut acheté quelques fruits des plus délicieux. Cependant, un bruit sourd sema la panique. Il ne fallut aux marchands que quelques minutes afin de remballer toute la marchandise. En quelques instants, les odeurs disparurent et furent remplacées par des hurlements. Les plus jeunes se firent tirer par la mère et Jabari et Opium suivirent le mouvement. Ils coururent à travers la foule sans savoir ce qu’il se passait. Cependant, ils étaient désormais assez âgés pour comprendre que, dans ce genre de situation, il ne fallait pas essayer de comprendre. Juste fuir. Cependant, alors que le reste du groupe réussit à sortir de la place, les deux enfants restèrent prisonniers. Ils n’étaient pas seuls, il devait y avoir une vingtaines de personnes, entourées par de larges voitures qu’aucun des enfants n’avait vue auparavant.
Un groupe d’hommes en descendit. Les gens murmuraient bruyamment, ne comprenant pas ce qui était entrain de leur arriver. Ils parlaient en Swahili et, à cause de la couleur de peau des hommes, Opium devina qu’ils ne comprenaient pas ce qui se disait. Elle et Jabari essayèrent de se faire discrets mais leurs efforts furent vains : deux inconnus s’approchèrent d’eux et se posèrent devant la jeune fille, ignorant magistralement le petit noir.

― Name.
― Sijui.

Les gens rigolèrent. Ce ne fut pas le cas de tous, cependant :

― Name! hurla le plus grand en prenant la fille par le bras.

L’enfant se débâtit et, sous des yeux ahuris, l'officier vola à plusieurs mètres de là. Son partenaire fit de même dès qu’il effleura le corps de la jeune fille. Elle n’essaya pas de comprendre quoi ce que soit, elle prit Jabari par le bras et l’entraîna dans les profondeurs de la ville. Le garçon ne posa aucune question et suivit rapidement sa sœur. Enfants de la nature, ils escaladèrent rapidement les toits et s’enfuirent avant même qu’une quelconque personne n’ait le temps de les rattraper. Ils coururent dans la savane sans jamais se retourner et ne s’arrêtèrent que lorsqu’ils furent arrivés au point de rendez-vous. Mama et les autres les attendaient, terrifiés. Personne ne comprit pourquoi cela était arrivé mais tous furent soulagés de savoir cette histoire terminée. Tous, sauf une. Tout cela était arrivé car elle était différente des autres. Elle était blanche, elle le savait. Et, que diable s’était-il passé… ?

***

― And the man just flyed fifty yards away!
― That can not be true Jabari.
― It is!

Le jeune garçon était excité comme une puce. Il n’arrivait pas à se remettre de ce qui c’était passé la journée passée. Du haut de ses douze ans, il n’arrivait pas à croire que sa sœur était capable de telles choses. Les autres ne le croyaient pas jusqu’à ce que quelque chose de semblable se reproduit : alors qu’elle était entrain d’aider la mère à découper les fruits, Opium en fit tomber un sur le sol. Enfin, il s’arrêta à quelques millimètres de la terre et, lentement remonta vers la main de la jeune fille qui n’en croyait pas ses yeux.
Pourquoi ? Comment ? La réponse arriva quelques semaines plus tard, au début du mois de novembre…

***

― I am a witch ! A witch !
― Yes, you are, binti yangu…

Les deux femmes éclatèrent en sanglots. Elles ne voulaient pas se quitter mais n’avaient pas d’autre choix. Ce fut une triste séparation. On se fit des adieux ; on promit de revenir pour les vacances. Début janvier, la petite fille quitta la vie de nomade et démarra sa scolarité à Nkiruka…

Nkiruka, l'école baobab. Immense et simplement époustouflante. Entourée d'une savane sublime, il n'était pas rare d'y voir passer de nombreux animaux ; tous plus élégants les uns que les autres. L'air de cette partie de l'Afrique était remplit d'une magie unique, que l'on ne trouvait nul-part ailleurs. Cette magie des plus étranges et dont les origines remontaient aux premiers jours des hommes. Une magie qui unissait tout sorcier à un art que les ignorant définissaient comme démoniaque. Il n'y avait cependant en cet art rien qui pourrait le rapprocher à un quelconque diable ; bien au contraire.

Le vaudou était une magie très ancienne et dont les élèves d'Afrique étaient passionnés. Complètement fous de cette chose qui les rendait plus forts, c'était à cela qu'ils passaient le plus clair de leur temps. Les plus âgés n'avaient même plus besoin de cette baguette qu'ils désignaient comme simple bâton inutile. Pour eux, la magie résidait en chacun et l'utilisation de cette dernière faisait partie des connaissances nécessaires à la vie de ce monde. Ils avaient raison, en un sens.

— Look at these babies, using their wand-y! riaient-ils.

Les plus jeunes se faisaient charier sans cesse. Les plus étroits d'esprits le prenaient mal et faisaient semblant de perdre leur baguette ; les plus intelligents s'en fichaient royalement. C'était le cas d'Opium. Elle était rentrée à Nkiruka depuis quelques mois et s'était déjà habituée à la vie dans ce baobab. C'était sa nouvelle maison. Les professeurs l'appelaient Aphrodisias cependant ; elle ne comprenait pas pour quelle raison. Mama avait promis qu'elle lui expliquerait quand elle serait prête. Cela énervait grandement la jeune fille : elle était prête ! À cela, sa mère lui faisait promettre qu'elle rentrerait pour les vacances...

***

Opium, comme chaque étudiant de l'école, fut rapidement passionnée par le vaudouisme. Mama lui avait dit maintes fois que c'était quelque chose de dangereux et de bien trop puissant pour une enfant de treize ans. "Yeah, yeah" lui répondait la jeune fille. Elle passa outre les règles, bien entendu. Pas immédiatement cependant. Elle attendit une année entière, durant lesquelles elle prit de la maturité. Lors de la première année de Jabari, son frère adoptif qui s'était aussi révélé être un sorcier, elle et un groupe d'amis se retrouvèrent une nuit à l'extérieur de l'école, dans un coin reculé. Ils procédèrent là-bas à un rituel étant censé leurs permettre de communiquer avec les esprits des animaux aux alentours.

— It'll never work, Op'.
— Shut up! Just do it.
— Ok, ok...

Cela faisait des mois qu'ils préparaient ce sortilège. Il demandait une concentration énorme et nombre de personnes n'y croyaient pas. "How could a second-year do a thing like that?" Opium était certaine qu'ils étaient simplement jaloux du fait qu'ils avaient échoués – ou qu'ils n'avaient jamais osé. Elle était certaine qu'elle en était capable et qu'elle prouverait enfin à ces imbéciles qu'elle était aussi noire qu'eux.

Les incantations commencées, de la fumée apparue tout autour d'eux. Les bougies s'éteignirent et tout ce qui était censé arriver arriva. Ils n'entendirent rien cependant. Pas un murmure, pas un grognement. Fiers, ils déduirent qu'il n'y avait aucun animal aux alentours et que ce fut la raison de l'échec. Personne ne le dit, mais ils savaient qu'ils n'étaient simplement pas assez puissants. Certains avaient eut la frousse et n'avaient put continuer à incanter, terrifiés. La jeune fille fut la seule à être sûre d'elle et ce fut surement une de ses plus grandes erreurs...

Elle finit sa semaine comme si rien de s’était passé. Les gens souriaient à son passage, voulant lui faire que comprendre que non, elle n’était pas si semblable. Et c’était ce qui faisait le plus mal. Ce n’était pas les insultes sur son incapacité magique ; pas le fait qu’elle soit silly ; mais le fait qu’elle ait une peau aussi blanche.

***

Tout commença lors d’une sortie nocturne qu’elle passa avec Jabari, quelques mois après le rituel. Même si Nkiruka était un « bâtiment » d’une taille respectable, les deux jeunes gens avaient besoin du grand air qui avait été toute leur vie. Ils connaissaient la savane comme leur poche et était simplement incapables de se perdre, ou même de manquer d’eau. C’était pour eux leur maison, la seule, l’unique. S’ils devaient mourir, ce serait dans cette étendue, nulle part ailleurs. Et que personne n’essaye de leur prouver le contraire.

Les deux sorciers marchaient tranquillement dans le silence de la nuit lorsque soudain, venue du fin fond de la savane, une voix s’éleva. Profonde, elle obligea Opium à se stopper net. Cette voix… Il fallait lui obéir. On sentait qu’elle était celle qu’il fallait écouter. Celle qu’il fallait vénérer. Il fallait se plier à ses décisions. Elle le sentait, jusqu’au plus profond de ses veines. Il n’y avait aucune échappatoire.

Ses jambes tremblaient et ses yeux étaient pointés vers un horizon lointain. D’où diable cela pouvait-il venir ? Elle se retourna brusquement, cherchant la possible origine de cette chose unique. Elle chercha, chercha, en vain. Rien. Il n’y avait rien dans cet endroit. Même si ses yeux s’étaient habitués à la nuit, ils ne virent rien. Rien à part Jabari qui s’excitait à ses côtés :

« Nini…?
― Did you hear that?
― Hear what?
― That voice.
― There was no sauti, Op'. »

Elle le regarda d’un œil interrogateur lorsque le tout recommença. Profonde, dominatrice, puissante. Celle du maître. Celle de l’empereur. Celle du dictateur. Celle du roi. Celle du Roi. Ce fut une crinière qui se dessina au loin. Une crinière fière qui semblait flotter au rythme de la légère brise qui parcourait la plaine. Une crinière attachée à un corps des plus gracieux se déplaçant avec une lenteur unique. Une crinière que l’on définissait rapidement comme la crinière de la savane.

Connaisseur, Jabari commença lentement à reculer, sans faire de mouvement brusque. Il fallait rester calme, ne pas se laisser emporter par la peur ou le Lion risquait de charger, pensant sa vie menacé. Jabari reculait donc, les yeux fixés sur le prédateur sans pour autant le regarder dans les yeux – ce qu’il prendrait comme un signe de défi. Jabari reculait donc, ne prêtant aucune attention à sa sœur qui, il en était certain, se préparait à faire de même. Grave erreur. Opium, contrairement aux habitudes, se releva brusquement ce qui fit sursauter le large animal. De peur, le jeune homme s’immobilisa. Que diable faisait-elle ? Elle, parmi toutes, savait qu’il ne fallait pas être si brutal. Pourtant. Encore une fois, elle passa outre les règles de survies et s’avança d’un pas décidé vers le Roi qui l’observait désormais sans bouger. Elle était folle, il n’y avait pas d’autre explication.

Elle savait ce qu’elle faisait. Il savait ce qu’elle faisait. Ce fut la raison pour laquelle il s’assit tranquillement, attendant que la jeune femme arrive à sa hauteur. Là, elle s’accroupit jusqu’à ce que son visage se retrouve nez à museau avec celui de l’animal. Cela arriva pour la première fois à ce moment-là. Un dialogue de sourd qui procura – et procure encore aujourd’hui – à Opium un frisson indéfinissable.

‘What is going on?’
‘I do not know, little human.’
‘Who are you?’
‘I have many names.’
‘You are him ; the King.’
‘Am I?’
‘Well… yes.’
‘Thank you, no one ever told me that.’
‘But… you are… I mean… How can I…’
‘So many question with no answer… What is your name?’
‘Opium.’
‘Opium… Pretty name.’
‘Thank you.’
‘Well, Opium. I will tell my friends you are no danger. We will talk later.’
‘But…’
‘Good bye.’

L’animal se releva soudain et disparu dans la nuit. La jeune femme resta un instant sans comprendre ce qu’il s’était passé. Ce fut Jabari qui, en posant sa main sur son épaule la sortit de cette léthargie. Il avait l’air terrifié. Une terreur qui passa dans les yeux de la sorcière dès lors qu’elle réalisa ce qu’elle venait de faire. Se rapprocher aussi près d’une créature aussi dangereuse… Mais que diable lui était-il passé par la tête ? Était-elle devenue folle ? Ce Lion aurait pu la tuer ! Cependant, il n’en avait rien fait. Il avait semblé plutôt calme ; pas du tout la figure de monstre que l’on lui procurait. Certes, elle savait que ces mammifères étaient très paresseux, mais elle savait aussi qu’ils étaient prêts à tout pour défendre leur territoire.

« What the hell happened, Op’?
― I… I don’t know.
― You don’t know? Well I do! You went too close to a lion! You could have been killed!
― He was nice.
― Nice?!
― Yeah, he said he had many majina.
― He said what?! »

Ce fut sur le chemin du retour que la jeune femme expliqua tout à son frère. Il mit du temps à comprendre. Il eut beaucoup de mal en réalité. Cependant, il savait que jamais elle ne lui mentirait sur quelque chose d’aussi gros. Ils se demandèrent comment cette chose était-elle possible. Comment elle avait pu parler avec ce Lion. Ce fut l’infirmier de l’école qui leurs donna la réponse.

Pendant la nuit, Opium fut prise d’un mal de tête horrible. Elle avait l’impression qu’elle allait exploser. Toutes ces voix se bousculaient dans sa boîte crânienne et elle n’arrivait pas à les arrêter. Elle souffrait grandement. Des larmes lui coulaient sur les joues et ses cris retentirent dans tout Nkiruka. Personne ne put dormir jusqu’à ce que l’infirmier ne la force à s’endormir grâce à un sortilège des plus puissants. Il semblait en effet qu’aucun de ses remèdes ne l'aidait d’une quelconque manière. Jabari fut obligé de répondre aux questions du directeur et dû avouer qu’il savait qu’elle avait participé à un rituel vaudou. Il fut aussi forcé de raconter ce qui c’était passé quelques heures plus tôt. Tout fut clair. Aphrodisias Blackwood était maudite.

Les jours passèrent mais rien de changea. Elle souffrait toujours autant. Personne ne savait de quelle manière régler cette histoire et même les plus grands sorciers vaudous ne purent rien pour elle. La magie était entrée trop profondément dans son organisme. Il était impossible de la retirer sans risquer la mort. Jabari ne supportait pas tout ce mystère et toute cette attente. Il ne voulait pas que Mama soit au courant, sans quoi, elle risquait de ne pas s’en remettre. La maladie d’Opium perdurait pourtant. Il fallait bien se rendre à l’évidence : c’en était finit. Elle avait fait son temps.

J’aurais bien voulu vous procurer un réel mystère quant à l’avenir de cette jeune femme. Cependant, vous comme moi savez qu’elle a aujourd’hui dix-neuf ans et qu’elle est bel et bien en vie dans la nouvelle école de sorcellerie Elderwood. Certaines choses sont parfois bien trop évidentes. Je ne vous parlerais donc pas des semaines, ni même des mois durant lesquels elle souffrit. Juste, ce fameux jour. Le « jour de son quinzième anniversaire ».

C’était Jabari qui était assit près du chevet de sa sœur. Depuis quelques temps, il y passait ses journées entières. Il avait décidé de prévenir leur mère après tant de souffrance. Dans trois jours, l’infirmier mettra fin à ses souffrances – et Mama devait être là. C’était aujourd’hui le jour de son anniversaire. Elle allait avoir quinze ans. Quinze ans. Tout juste quinze ans. Ce n’était pas le moment d’en finir. Non. Elle était bien trop jeune. Tout cela parce qu’elle a crut qu’elle était capable de réaliser un sortilège d’une telle envergure. Quelle idiote. Quelle idiote ! Et lui qui l’avait laissé faire. Ce qu’il avait été con !

Un reniflement sonore attira son attention. Il se retourna rapidement et aperçu un énorme lion. Majestueux, il se tenait simplement droit, sur ses quatre pattes. Le jeune homme allait crier mais ce fut une lueur dans les yeux de l’animal qui l’en dissuada. Il y avait quelque chose, caché dans le fin fond de ses prunelles. Quelque chose qui hurlait de se faire entendre. Bien entendu, il ne dit rien. Cependant, lentement et avec toute la grâce possible, il se dirigea vers le lit dans lequel était allongée Opium. Elle était immobile, à cause des sorts de l’infirmier, mais l’on sentait bien – de part son visage – qu’elle souffrait atrocement.

Le lion fit quelque chose des plus étranges : il leva une de ses pattes et la posa délicatement sur la cheville de la jeune femme. Aussitôt, comme par magie, une étoile se dessina. Par-dessus cette dernière vint se placer un croissant de lune. Avant même que Jabari ne comprenne ce qu’il venait de se passer, l’animal fit demi tour et sortit de la pièce. Le jeune homme l’aurait suivit en courant si le corps allongé ne venait pas de gémir. Elle ouvrit les yeux et découvrit le visage de son frère, penché au dessus d’elle.

« What the hell, bro’? »

Il sourit et se jeta au cou de sa sœur qu’il croyait morte. Il ne savait pas ce que ce gros sac de poils avait fait, mais il lui était à jamais redevable. La sorcière fut surprise de découvrir le tatouage à l’intérieur de sa cheville gauche mais elle ne pu que l’apprécier, surtout lorsqu’elle apprit son origine.

Dès que les professeurs laissèrent les deux jeunes gens tranquilles – après les avoir sermonnés sur les dangers du vaudouisme – Opium raconta tout ce qui c’était passé. Elle comprenait désormais ce dont elle était capable. Ces Animaux lui parlaient – à elle. Cependant, comme aucun n’était au courant, tous se racontaient leurs histoires en même temps. Elle, ne sachant pas ce qui lui arrivait emmagasinait toutes les vois de toutes les créatures à des kilomètres à la ronde. Elle ne savait pas ce que ce Lion lui avait fait, mais elle savait désormais comment tout éteindre et même, comment allumer seulement quelques endroits. C’était un pur bonheur. Il fallait absolument qu’elle retrouve ce Lion. Absolument.

Vous devez êtres entrain de vous demander de quelle manière elle pouvait gérer tout cela alors qu’elle venait d’agoniser pendant des mois et des mois. La magie, cela vous dit-il quelque chose ? Ce Lion. Ce Lion n’était pas un simple Lion. C’était le Lion. Ce tatouage n’est pas là simplement pour la bonne cause. La nuit. C’est pendant la nuit que les deux s’étaient rencontrés. Pendant la nuit qu’il avait appris son nom. Pendant la nuit qu’il était devenu son « protecteur ». Entre rejetés de la société, les liens se créent vite. Ce Lion, remplit de magie avait été abandonné dès son plus jeune âge à cause de ses différences. À cause de ce dont il était capable. Ce jour-là, il sauva une vie. Plus tard, il croisa cette vie de nouveau.

« Jabari!
― Nini?
― Look! The Lion! »

Aussitôt, le jeune homme regarda dans la direction que pointait sa sœur et aperçu en effet la crinière si unique de l’animal miracle. Il sentit Opium sautiller sur sa chaise. Elle voulait sortir au lieu de passer encore une heure dans ce cours de sorts et enchantements dans lequel le seul enchantement présent était la capacité du professeur à vous endormir. Comme si le fait d’être fichée dans le corps enseignant en tant que « personne maudite donc instable » ne suffisait pas, il fallut que la jeune fille monte sur le rebord de la fenêtre et saute tout bonnement dans le vide. L’espèce d'armoire à glace trapue qui donnait son cours faillit avoir une crise cardiaque et se précipita vers la fenêtre afin de vérifier que son élève n’était pas morte. Non, elle ne l’était pas. Pas encore… !

La sorcière atterrit tout en douceur sur le sol sec de la savane. Depuis quelques temps, elle avait de moins en moins besoin d’utiliser sa baguette magique. Il semblerait en effet qu’une partie de la magie du Lion ne se soit transférée dans son corps – comme si le vaudou n’était pas suffisant. Opium s’approcha du large animal et, comme il le lui ordonna, monta sur son dos. Il allait lui apprendre, lui, à vivre dans un monde où l’on est sans cesse rejeté. Il lui apprendrait comment se battre. Il lui apprendrait comment se défendre. Il lui apprendrait comment survivre.

« Op’ just forget it… »

« Op’ come on! »

« Op’ please…
― Will you shut up?! »

Le jeune homme se renfrogna. Ce qu’il n’aimait pas quand sa sœur agissait de la sorte ! Certes, défendre ses idées était quelque chose de très important. Certes, il était bon de savoir ce que l’on voulait faire. Cependant, il était certain que de s’introduire dans le bureau du directeur pour lui voler de son « élixir de jouvence », ce n’était pas prévu au programme. Pourtant, il était bel et bien sur les talons de la demoiselle. Elle disait que cela l’aidait à rester calme et donc à calmer les voix qui affluaient dans son esprit. Il n’y croyait pas trop. Enfin, elle passait son temps à discuter avec un Lion probablement centenaire qui lui apprenait toutes les choses à savoir sur elle-même. Qu’est-ce qu’il en savait lui d’abord ? C’était qu’un gros chat. Ou chien. Enfin, une grosse bestiole quoi. Que connaissait-il de la vie ? À part le fait qu’elle était injuste. Et pas toujours très rose. Et difficile… Bon, d’accord, il en savait beaucoup. Tout de même !

Le léger bruit qui retentit soudain apprit à Opium que la porte était désormais ouverte. Elle se retourna vers son frère, un large sourire aux lèvres. Un large sourire qui disait : « Told you so! ». Le jeune homme leva les yeux au ciel, comme il avait l’habitude de faire. En silence, la sorcière pénétra dans la large pièce. En quelques instants, elle lança un sortilège qui lui amena les différentes possibilités que lui offrait la salle. Avant chaque décision, elle jetait un coup d’œil à Jabari qui ne pouvait qu’observer de nouveau le plafond. Il gigotait sans cesse, probablement de peur de se faire prendre. Il n’y avait aucun risque ! Normalement…

Le Kényan sursauta. Il avait entendu un bruit. Il en était certain. Des pas. Des pas qui provenaient de l’extérieur. En quelques instants, il arriva au niveau de la demoiselle, lui posa une main sur l’épaule et, du regard, l’informa du fait qu’ils allaient être découverts. Elle hocha la tête, choisit quelques bouteilles et se releva. Le jeune homme gardait un œil sur la porte, concentré. Étrange, il n’y avait plus rien. Pourtant… Il n’eut pas le temps de réfléchir : sa sœur l’attrapa violemment par la taille et l’entraina vers la fenêtre. Elle n’allait pas oser…

« Bitch ! »

Elle avait osé. Et elle en était très, très, très fière. Il avait tout simplement hurlé en sentant le vent sur son visage. Pourtant, c’était quelque chose qu’elle aimait par-dessus tout. Cette sensation de chute libre, là où seul le vent vous portait. Un pur bonheur.

***

La musique était assourdissante. Pourtant, la voix de Simba surplombait. Elle surplombait toujours. Simba, oui ; le Lion. La jeune femme devait bien avoir manqué d’originalité, mais elle n’était pas du genre à donner des noms aux gens. Appeler un Lion « Lion » semblait une chose des plus normales. L’animal l’aimait bien, il n’y avait aucune raison de le changer. Après tout, il n’y avait pas des centaines de Lions nommés Simba au monde, si ? En tout cas, ce qui était certain, c’était que ce Simba-là avait de la voix. Elle ne pouvait pas le faire taire. Avec le temps, elle apprit donc simplement à l’ignorer. Se concentrer sur la musique. Oublier une partie du monde qui l’entourait. Elle resta quelques instants les yeux clos, immobile. Lorsqu’elle les rouvrit soudain, il était facile de se rendre compte que quelque chose avait changé. C’était le cas. Elle finit rapidement le verre qu’elle avait dans les mains et entra sur la piste de danse.

Cette musique… Il était presque impossible de lui résister. Elle portait votre corps, supprimant toute conscience. Vous n’aviez plus aucun contrôle sur vous-même, étiez obligés de vous plier à sa volonté. Certaines personnes décrivaient ceci comme quelque chose de magique. Vous comme moi savez parfaitement qu’il n’en était rien. La magie elle-même avait du mal à se canaliser et il n’était pas rare de voir apparaître quelques étincelles. Opium ne savait pas si cela n’arrivait que dans cette école mêlant magie et vaudou ou si les anglais avaient le même genre de problèmes. Oui, problème car il était été déjà arrivé que des incendies se déclarent. Ce ne fut pas le cas ce soir-là ; bien au contraire.

Il semblait que cette fête serait une des meilleures de l’année. Les plus âgés s’étaient arrangés pour que le bruit soit contrôlé et personne ne devrait donc venir les déranger. C’était une très bonne chose. La jeune femme dansait sans cesse comme si elle était ensorcelée. Son corps se mouvait au rythme de la musique et sa peau brillait sous la lumière des projecteurs ; remplie de sueur. Son esprit était ailleurs. Il devait l’être. Sa tête était silencieuse. Ce n’était pas arrivé depuis plus d’un an et c’était quelque chose de… parfait. C’était ce qu’elle croyait. Mais le destin en décida autrement.

La sorcière sursauta légèrement lorsqu’elle sentit quelqu’un se coller à elle. Puis, elle n’y prêta plus attention, se contentant de bouger avec cet inconnu. Tout semblait parfaitement normal jusqu’au moment où le corps passa sous les yeux de la jeune femme. Fin et peu couvert, il était entouré par de longs cheveux d’un noir de jais. Opium eut un moment de recul. S’il n’y avait pas eut tant d’alcool qui coulait dans son organisme, elle serait partie en courant et aurait tout simplement raté sa vie. Ce ne fut pas le cas. Son cerveau mit trop de temps avant de prendre une décision et ce fut l’inconnue qui la prit donc à sa place : elle posa ses mains sur sa taille et continua de danser, comme si tout cela était normal.

Une partie de la soirée disparue à ce moment-là. Dans l’esprit de la jeune femme, elle se retrouva soudain dans une chambre, seule avec cette demoiselle. Elles auraient put parler de garçons ou encore du fait que le professeur de vol était un idiot. Mais non, elles décidèrent qu’il valait mieux passer leur temps à faire autre chose et ce fut seule et nue que se réveilla la sorcière le lendemain matin.

***

« Hadiya! »

La Kenyane se retourna lentement avec un air interrogateur. Opium accéléra le pas et fut rapidement à son niveau.

« Hi. » dit-elle avec un sourire.
« What do you want? »

La sorcière eut un moment d’hésitation. Pourquoi était-elle si violente ?

« Just… just wanted to say hi.
― And… ?
― Em… »

Hadiya leva les yeux au ciel et commença à s’en aller lorsque la jeune femme blanche attrapa son bras, la forçant à se retourner.

« Why are you doing this to me?
― Doing what?
― All this! I thaught we had something! I thaught…
― You thaught what? That we were going to be together ‘till the end of time? Life is not a fairy tale silly.
― But we had...
― What we had was sex. Just sex. »

Opium resta sans voix. Elle vit son seul amour disparaître alors qu’elle ouvrait de nouveau son esprit, n’aillant plus la force de le refermer. Les voix affluèrent et en quelques secondes, ce fut le noir complet.

***

Ses yeux s’ouvrirent si violemment que Jabari hurla de surprise. La jeune femme se redressa rapidement et il lui fallut quelques instants afin de comprendre où elle se trouvait. L’infirmerie. Encore. Elle soupira. Alors que son frère était entrain de lui raconter ce qu’il s’était passé, elle s’approcha de la large fenêtre et observa la savane. Elle était de toute beauté. Les animaux devaient vivre une vie de rêve. L’amour n’était pas quelque chose de si important. Il suffisait à une femelle de rencontrer un mâle, de faire des gosses avec et le tour était joué. Pas besoin de mille détours. Un beau poil suffisait à attirer n’importe qui. Jamais il ne viendrait à une femelle l’idée saugrenue d’aller voir une autre femelle. Jamais.

Elle sentait ses yeux se mouiller. Elle voulait sortir de cet enfer. Disparaître. Plus personne ne lui reprocherait quoi ce soit. Elle voulait être comme cette lionne qui chassait. Elle semblait calme. Sans peine. Sans soucis. Une vie de rêve. Opium se concentra sur son esprit afin de savoir ce dont elle avait besoin. Une gazelle. Proie des plus nobles. En vue de la carrure de l’animal, ce serait un jeu d'enfant.

Lorsqu’elle y repensait, elle n’avait jamais vu une lionne chasser. Ce devait être intéressant. Elle imaginait être dotée des puissants muscles de l’animal. Pouvoir courir aussi vite, aussi loin, sans avoir à se soucier de quoi que ce soit. Le rêve. Lentement, elle ferma les yeux et, alors qu’une larme coula, elle se sentit disparaitre dans la nuit.

Alors que Jabari était toujours entrain de raconter de quelle manière il avait trouvé sa sœur, en profitant pout ajouter quelques mots sur sa future conquête, il vit Simba débouler en trombe dans l’infirmerie et se jeter sur le corps de la jeune femme qui était entrain de tomber comme si elle venait de s’évanouir encore une fois. L’animal la disparu tout bonnement. Il ne fallut au visage de l’infirmier que quelques instants pour se dégrader. Son bilan était des plus horrifiants : l’esprit de la sorcière avait quitté ce corps.

Elle ne trouvait pas cela trop compliqué de marcher à quatre pattes, finalement. Certes, cela avait été un petit peu difficile au démarrage mais elle était désormais entrain de courir librement dans la savane à la rechercher d’une seule et unique chose : une gazelle. Elle se fichait désormais de cette femme qui l’avait traité comme si elle n’était rien. Elle se fichait du fait qu’elle n’aimait que les filles et que c’était la raison pour laquelle elle n’avait jamais fait attention à aucun corps masculin – aussi musclé soit-il. Tout ce qu’elle voulait, c’était manger. Pourquoi ? Parce qu’elle avait faim. Tout simplement. Cependant, elle entendit des bruits de pas qu’elle ne connaissait que trop bien. Elle s’arrêta net et se retourna afin de voir arriver Simba au pas de course.

‘Opium, run!’ disait-il alors qu’il était encore à un kilomètre.
‘Why?’
‘Just do what I say!’
‘No! I’m tired of this. This is my life not yours!’
‘Run!’
‘No!’

Tout ce blabla, ce n’était qu’une crise d’adolescence à la con. Elle savait parfaitement que si Simba lui demandait de courir, il y avait une bonne raison. Elle savait très bien qu’il fallait le faire. Mais elle ne le fit pas. Et ne comprit son erreur que lorsqu’un coup de feu retentit dans le silence de la nuit. Elle ne comprit son erreur que lorsqu’elle sentit un courant d’air glacial. Elle ne comprit son erreur que lorsqu’elle sentit un liquide couler le long de son pelage. Elle ne comprit son erreur que lorsque son cœur s’arrêta. Elle ne comprit son erreur que lorsqu’elle s’étala sur le sol. Sans vie.

Lorsque le cœur de cette lionne s’arrêta, celui de la jeune femme fit de même. Tous les professeurs s’étaient regroupés et essayèrent de la sauver. Mais ils ne purent rien y faire. Ils l’avaient perdue. Jabari hurlait de douleur. Des larmes ne cessèrent de couler sur son visage meurtrit et, durant le quart d’heure que tous passèrent à vouloir rendre la vie à cette jeune femme, il essaya de se tuer trois fois. Il ne pouvait vivre sans elle. Jamais. Et Simba avait bien comprit cela. Lorsqu’il pénétra dans l’infirmerie, le corps d’une lionne sur le dos, les professeurs ne réagirent pas. C'était étrange et, lorsque le jeune homme s'arrêta soudain de crier, les enseignants s'étonnèrent. Le Lion déposa la carcasse sur le sol près du corps de celle qu’il considérait désormais comme sa propre fille et, par une magie inconnue, lui redonna la vie. De nouveau, quelque chose se grava sur sa peau. Un symbole étroit sur l’intérieur de son poignet gauche. Les professeurs ne le remarquèrent pas et ce fut en silence que l'animal disparu de nouveau.

Lorsque son cœur repartit, ils pensaient tous la voir se réveiller et reprendre une vie normale. Ils se trompaient. Elle ne pourrait jamais plus avoir une vie normale. Premièrement, son cœur ne battait que grâce à l’esprit de Simba. Dès qu’il faiblirait, elle faiblirait aussi. Deuxièmement, son esprit ne pourra jamais oublier cette nuit. Jamais. Il n’oubliera jamais la sensation de mort. Elle aurait probablement des envies suicidaires, son esprit ayant été blessé. De plus, elle gardera à jamais cette cicatrice au niveau de son cœur. Cicatrice qui, lorsque les temps seraient trop durs, se rouvrirait, laissant un trou béant au niveau de sa poitrine.

« I don’t care. I’ll watch over her ! » dit Jabari lorsque Simba essaya de lui expliquer ce qui pourrait arriver.

Ce petit était un bon garçon. Mais cela ne suffira pas. Il faudrait lui empêcher toute émotion trop forte ; toute peine de cœur. Et cela était impossible.

***

Opium ne reprit ses esprits que plusieurs mois plus tard. La première chose qu’elle aperçu fut Mama et elle en pleura de joie pendant des heures. Elle s’excusa pour lui avoir désobéit. Lui jura que plus jamais elle ne ferait une chose aussi stupide. Qu’elle avait raison depuis le début. Et tant d’autres choses. Mais ce fut sa mère qui lui en dit le plus. Elle commença par le commencement.

Le nom officiel de la jeune femme était Aphrodisias Blackwood. Elle avait été adoptée lorsqu’elle avait deux ans. Elle n’était pas réellement née le 13 juillet, c’était simplement la date à laquelle elle était arrivé chez Mama. Elle n’avait aucune nationalité mais pourrait devenir Kényane à ses dix-huit ans si elle le souhaitait.

Toutes deux passèrent encore plusieurs heures enlacées, à pleurer de joie et furent rejointes par Jabari qui fit de même. Peu importait si Opium était bel et bien la fille de Mama. Elle s’en fichait. L’amour, ce n’était pas quelque chose que l’on pouvait contrôler…

***

Durant sa réhabilitation, la jeune femme passa son temps à regarder des films moldus, à lire des ouvrages de son pays d’origine qu’elle pendait être l’Angleterre. Son idole ? Marilyn Monroe. Son Dieu ? Shakespeare. Elle demanda à Simba de lui tatouer le visage de son idole ainsi qu’une des citations qu’elle trouvait les plus émouvantes. Pour elle, le corps était une œuvre d’art qu’il fallait peindre. Il y avait des choses qu’il ne fallait pas oublier. Des choses qu’il fallait graver. Des souvenirs dont elle avait besoin de se souvenir. Ce fut la raison pour laquelle elle se fit un autre tatouage à la même époque : « There once was a little girl who never knew love until a boy broke her HEART ». Ceci lui rappelait deux choses : premièrement, toujours écouter Simba lorsqu’il lui ordonnait quelque chose ; deuxièmement : ne jamais laisser quelqu’un prendre le contrôle de sa vie. C'était étrange que l'animal soit capable de faire de telles choses alors qu'il n'arrivait même pas à être vu par le reste du monde. C'était... magique.

Elle devint une des sorcières les plus enviées de Nkiruka. Tous les hommes lui couraient après. Et, à chaque fois, elle les repoussait. C’était devenu un des défis de l’école : qui arriverait à faire changer Blackwood d’avis. Mais elle ne se laissait pas avoir. Cependant, même si elle paraissait intouchable et même s’il semblait qu’elle avait complètement oublié ce qu’il s’était passé avec Hadiya, elle ne désirait qu’une seule chose : la reconquérir. C’était son seul amour et elle ne voulait pas le laisser s’échapper.