Il était une fois, dans un lointain royaume … Je vous sens sceptique, là. Allez, un peu de concentration !

Olga était un charmant petit écureuil aux pattes veloutées, au poil lustré. Ses grands yeux noirs étaient vifs, et on racontait dans les arbres qu’elle était la plus douée, question chasse aux noisettes. Olga était la plus futée et la plus gentille de écureuils de Cracovie, du moins aux yeux de Sergueï. Ses parents à elle étaient d’adorables écureuils sans magie, mais Olga avait été à l’école où on lui avait appris à lancer des sorts à ses noisettes pour qu’elles se ramassent toutes seules. Elle y excellait, d’ailleurs, comme en toutes les disciplines visant à faire de son nid un endroit douillet, propret et propice à l’élevage de petits moufflets écureuils. Sergueï, lui, était un peu moins brillant, un peu moins roux, mais sa queue était touffue et il grimpait à merveille, défiant la gravité avec adresse. Il avait l’air joyeux, amoureux, et ses quenottes étincelaient adorablement quand il dévisageait Olga. Bien sûr, les parents d’Olga furent sceptiques, mais il sut tant et si bien leur prouver qu’il saurait construire un nid, que quelques mois plus tard, ils emménageaient au creux d’un chêne de quelques soixante années, dans l’allée bien entretenue d’un parc de Cracovie. Le nid des Czajkowski était rond, niché au creux d’un arbre plus que convenable, et s’annonçait comme le plus heureux, le plus joli des nids.

D’abord naquit Natalia. Dès sa naissance, tous les animaux du parc furent ébahis par son charme. Avec ses toutes petites pattes et ses jolis reflets, rares étaient ceux qui ne s’extasiaient pas devant ses petites dents et ses moustaches si joliment équilibrées. Natalia était l’écureuil parfait aux yeux de ses géniteurs, une petite boule de poils délicate et mignonne qui apprit rapidement à courir avec grâce. Mais là n’est pas le sujet de notre histoire, si mignonne que soit Natalia.
Sept ans après elle, le nid s’agrandit à nouveau, alors qu’Olga et Sergueï s’enlisaient dans une routine de plus en plus déprimante – le mâle surtout éprouvait de plus en plus de difficultés à supporter sa vie de famille – avec l’arrivée de Magda. Une fois encore, le bébé écureuil fit sensation, ne serait-ce parce qu’il était microscopique et adorable. Magdalena captait toute l’attention du couple, accaparée par une Olga lassée de la monotonie conjugale et un Sergueï qui ne tarderait pas à prouver qu’en vérité, les bébés écureuils étaient sa passion. Loin de délaisser son aînée, le papa écureuil se révéla être en réalité un vilain grand méchant loup planqué sous une peau d’écureuil. Alors qu’il était normal, vaguement papa poule, avec son nouveau-né, Natalia commença à vivre l’Enfer.

Ignorant tout des drames qui se jouaient dans la chambre d’à côté, Magda grandit tranquillement, apprenant à sauter de branche en branche, à lisser ses poils de pattes et à grignoter des noisettes dans les règles de l’art. Délicate et mignonne, la petite rongeuse avait encore des bajoues d’enfant, mais décortiquait les cerneaux de noix comme une professionnelle. Au ravissement de ses géniteurs, elle semblait destinée à habiter les plus beaux arbres, les plus beaux parcs. Tout comme Natalia, d’ailleurs, même si ses pensées à elle étaient infiniment plus sombres. Mais avez-vous jamais vu une famille d’écureuils se donner des coups de pattes parce qu’elle ne supporte pas ses congénères ? Non. Et telle une princesse écureuil de conte de fées, Magda éprouvait un amour inconditionnel pour son aînée, l’adulant jusque dans le moindre de ses actes. Pendant les quelques années qui suivirent, et ce jusqu’à son entrée à l’école, rares étaient les habitants du parc qui eurent l’occasion de voir l’une sans l’autre.

Et puis, Magda intégra à son tour Durmstrang, l’école des rongeurs magiques. Rongeurs et autres animaux, d’ailleurs ; c’est une Magda terrorisée qui ouvrit les yeux sur un immense château, au sein duquel pullulaient souris, mulots, rats, oiseaux, campagnols, et tant d’autres espèces qu’elle crut un instant rêver. Puis, elle se laissa entraîner, et vécut cinq années comme dans un rêve.
Ce qu’elle vécut à l’école importe peu : d’une petite boule de poils mignonne, elle se transforma en femelle écureuil gracieuse et coquine, aux yeux malicieux et aux pattes agiles. Elle se fit des amis, des ennemis, connut de moites étreintes et la rigueur des hivers russes, pendant lesquels elle crut maintes fois être sur le point d’être changée en toque. Elle survécut, le plus dur n’étant pas l’école de magie.

A vrai dire, le petit cœur de l’écureuil s’était brisé à peu près le jour de son entrée chez les grands. Telle une noisette pourrie, Natalia venait, avec pertes et fracas, de quitter le domicile familial. Pour un autre nid, un autre parc, un autre horizon où la cime des arbres serait moins glacée, moins grisâtre, et où le ciel de Cracovie ne serait plus qu’un souvenir. Pour la petite rongeuse, le monde s’écroulait d’un coup : elle ne faisait plus ployer les branches. La ligne du ciel était terriblement plate, vide de sens et d’amour, comme terrassant l’écureuil de son immensité. Une seule queue rousse et touffue devant votre museau vous manque, et tout est dépeuplé.

Puis, vint l’heure de Nameless, comme l’appelait le sage hibou. Un déménagement. De nouvelles têtes. De nouvelles têtes plus jolies, plus douées, plus intelligentes. De nouvelles têtes parées à l’écraser de leur supériorité, de leurs dents plus brillantes et de leurs moustaches lissées alors qu’elle se complaisait dans la médiocrité, nulle et archi-nulle. A côté de Natalia, l’étoile filante au firmament des célébrités, de joueurs de Quidditch internationaux, de souris géniales en magie et autres héros de véritables contes de fées … Magda se sentit prête, un bref instant, à émigrer pour élever des glands en Laponie. Jusqu’à ce que qu’elle ne décrète qu’elle allait, une bonne fois pour toutes, pulvériser l’échelle de coolitude de cette nouvelle école.

La Magda, de son nom scientifique Magdalenus Czajkowskius, est un petit animal assez commun dont les mœurs semblent se rapprocher de celles de l’homo sapiens sapiens. Bien qu’on le trouve dans plusieurs pays d’Europe centrale, c’est en Pologne qu’on localise les spécimens les plus représentatifs de l’espèce.
D’apparence humanoïde, la Magda accorde une grande importance au paraître. Généralement élevée dans un milieu empli de gens beaux et intelligents, elle considère le moche comme une insulte à sa personne. Elle présente également des réactions allergiques à des produits d’origines diverses qui trahissent son environnement naturel : le manque de sommeil, les vulgarités, les grandes sœurs, les grandes sœurs douées en chant, les grandes sœurs plus jolies qu’elle, les grandes sœurs superstar plus connues et aimées qu’elle, les gens de façon générale quand ils aiment d’autres gens plus qu’elle, etc. Vous l’aurez deviné, la Magda est un animal très sujet aux complexes : souvent, elle se trouve trop moche, trop bête, trop faible. La vérité, c’est que les scientifiques sont d’accord pour considérer que jalouse des homo sapiens, elle voudrait appartenir à cette race supérieure.

En ce qui concerne ses habitudes de vie, le Magdalenus est communément envisagé comme une bestiole superficielle et peu intéressante. Se nourrissant peu, champagne et autres aliments couteux étant la base de son alimentation, la Magda fréquente presque exclusivement d’autres congénères, uniquement issus des classes sociales les plus intéressantes. Les Magda finissent généralement leur vie en tant qu’épouses de millionnaires, quelques individus poussant le vice jusqu’à viser les milliardaires ou à se contenter du statut de maîtresse. Peu d’ambition si ce n’est celle d’être appréciée, on soupçonne les Magda de tirer leur force vitale des compliments, même si cela implique de se faire traiter de pimbêche sans cerveau le reste du temps.

Le Magdalenus est également est un animal très exigeant, autant envers soi qu’envers les autres. Il vise l’excellence sinon rien, que ce soit dans l’épluchage de noisettes via l’utilisation d’eau bouillante ou dans l’art ô combien controversé de marcher droit sur un podium – ou une poutre, une ligne de coke, n’importe quoi en fait. Cela a tendance à le rendre quelque peu infréquentable aux yeux de ses semblables, heureusement assez peu nombreux. Car entre les Magda, la compétition est rude, chacun se chargeant de rappeler aux autres via des parodies de rites nuptiaux combien ils ne sont pas dignes de respect.
Si les relations entre les différents Magdalenus sont houleuses, ça n’est que rarement le cas quand il s’agit des interactions avec les autres espèces. Animée d’un esprit pratique à toute épreuve, la Magda sait que les amis sont plus utiles que les ennemis, sans même revenir sur son besoin chronique d’être appréciée.

Derrière toute cette couche de superficialité, agrémentée d’un soupçon d’arrogance (finalement, tous les autres ne sont jamais que des entrées dans le monde que la Magda peut manipuler à sa guise), on trouve généralement des récurrences indiquant la présence, quelque part, d’un cœur semblable à celui de l’homo sapiens : l’individu, une fois sevré de sa famille et autres motifs de mécontentements, a un comportement qui se rapproche de celui de l’adolescente paniquée, pleurant et invoquant la divinité ethnique locale, à savoir le saint Ours en Peluche Pelé. Pire encore, certains faits isolés tendraient à prouver que les Magda sont capables d’amour et d’inquiétude, en particulier si on rompt leur carapace de sale petite fille pourrie-gâtée pour les traiter comme de vraies personnes.

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