- Je déclare la séance du conseil international de coopération magique ouverte. Je donne la parole à celui qui présidera ce conseil, Monsieur Kiely, ancien directeur de la grande école de Salem, dépositaire à l'origine du projet Nameless.

Tous les regards se tournèrent vers le quadragénaire qui souriait avec déférence. Dans ses yeux flottait une lueur de génie et de sagesse infinie. Si tous le connaissaient, ici, ce n'était pas pour sa place de directeur, mais parce qu'il était l'un des plus grands pianistes de tous les temps, le Mozart des temps modernes. Il n'occupait son poste dans l'éducation que depuis quelques années, bifurcation de carrière empruntée lorsque son implication dans le monde politique avait fini par prendre le pas sur sa passion pour la musique, mais restait pour tous le musicien grandiose avant l'homme d'état. Les deux paumes appuyées à plat sur la table, il se leva lestement devant l'assemblée de grands hommes réunis en ce jour unique au dessein encore plus exceptionnel. Il marqua un silence, durant lequel son regard translucide alla se poser sur chaque personnalité qui avait fait le déplacement. Les directeurs de chaque école ainsi que quelques portes paroles des hautes sphères politiques d’un peu partout, accompagnés de leur personnel le plus proche, majoritairement leurs assistants et greffiers personnels, étaient présents. Pas un ne manquait à l'appel. Aujourd'hui, tous ensemble, ils allaient changer le monde tel que nous l'avions toujours connu.

- Bien le bonjour, mes chers confrères. Vous savez tous pourquoi nous sommes réunis ici aujourd’hui, dans un tel endroit, à savoir le plus grand parlement d’Europe, qui a fêté son centenaire il n’y a pas si longtemps... Et espérons qu’il en sera de même pour Elderwood dans un siècle, car c’est avant tout d’elle que nous allons parler, ainsi que de son futur.

Occupant une partie inutilisée par les moldus du bâtiment, les dignitaires avaient conscience du caractère exceptionnel de cette réunion, tenue si loin de leurs propres ambassades (hormis pour nos amis slaves) et dans un lieu tellement chargé d’histoire... Mais de magie, aussi, ses musées regroupant nombre d'artefacts ayant traversé les âges et les différentes crises, épargnés par le temps.

- Voilà 10 ans déjà que nous repoussons l’échéance, mais nous avons toujours su que ce jour arriverait : celui du changement, d’une nouvelle ère qu’il nous incombe d’ouvrir. Beaucoup d’entre vous, je le sais, sont réticents, attachés à leur sol et l’enceinte rassurante de leurs écoles. Mais le temps où nous regardions ailleurs en espérant que les choses s’arrangent d’elles-mêmes est révolu. Je vous annonce officiellement, et sachez le, à regret, que les écoles doivent fermer... Dès la fin de cette année.

Des murmures effarés s’élevèrent dans la salle et l’Américain les laissa faire d’un air patient, jusqu’à ce que, enfin, l’un deux ose se lever et demander la parole. Il s'agissait de l'actuel directeur de Beauxbâtons, Basile De La Roche-Guyon, que couvait du regard son homologue japonaise, Akane Takanato, souriant d'un air insondable.

- Quand vous dîtes que les écoles doivent fermer ... vous voulez dire fermer comme mettre la clé sous la porte ou fermer comme "oh, on va fermer le temps d'un petit congé"...
- Non, Basile, les écoles ne réouvriront pas. Il parle bien d'un épilogue, une page d'Histoire qui se tourne...
- Ah. D'accord. Bon... Et toi qui peux voir le futur, tu aurais quelques présages rassurants à partager ou l'avenir est-il aussi flou qu'au travers de lunettes pleines de buée pour toi aussi ?

Elle jeta un regard amusé au français avant de tourner les yeux vers Nathan pour répondre :

- Je ne peux pas me prononcer pour dans 100ans, puisque je ne serais plus là pour le voir, mais je peux vous dire que le changement...aura bien lieu, c’est indéniable.
- Et qu’adviendra-t-il de nos écoles ? S’éleva alors une voix, avant que sa silhouette imposante ne suive alors qu’il se dressait, paumes posées face contre la table. Elles seront classées au patrimoine mondial et dans quelques années, ouvertes au publique comme de vulgaires musées ? Je ne laisserais pas ça arriver à Poudlard, hors de question.

La main apaisante de sa collègue américaine se posa sur son bras alors qu’elle se levait à son tour, le faisant se rasseoir.

- Quitter nos écoles, c’est une petite mise à mort. Vous savez tous ici comme moi que ce sont plus que des bâtisses de pierre, ou de bois, qu’elles recèlent toutes un grand pouvoir, qui leur a permis de tenir jusqu’alors. Comment allons nous pouvoir le préserver, si nous ne sommes plus là ? Ne serait-ce pas signer notre perte ?
- Lovleen a raison, se leva Jezabel à son tour, face à elle, captant le reste de l’auditoire de son aura magnétique. Quelles garanties avons-nous ? Et tous nos collègues enseignants, que vont-ils devenir ?
- Ces problèmes de logistique seront réglés sur le tas, j’imagine. Répondit Gregori après avoir demandé d’un coup d’oeil la parole à Nathan. Le Ministère établira tout ce qui sera nécessaire au bon fonctionnement de l’école. Évidemment, vous êtes bien conscients qu’il y aura des... coupes dans le personnel. Le fait est que nous devons nous adapter à la localisation, mais aussi à la demande. Vous savez comme moi comment les choses fonctionnent, je ne vous apprends rien. Quant aux bâtiments... Ses yeux dérivèrent vers les deux compères anglophones avant de faire un tour d’ensemble. Ils seront préservés, n’ayez crainte. Personne n’oubliera ce qu’ils ont représenté en les transformant en lieu touristique, pas plus que leur pouvoir ne sera gaspillé. La magie est bien faite. Il semblerait qu’elle aussi s’adapte en temps de grande nécessité.

Resté silencieux jusque là, le directeur de Maarifa Sihr, Oz Kether, posa pied à terre à son tour.

- La question est : avons-nous le choix ? Il laissa un silence s’installer quelques secondes avant de reprendre. Nous avons chacun nos inquiétudes auxquelles des réponses ont été apportées. Peut-être sont-elles incomplètes, mais elles sont tout ce qui nous reste. Je crois en ce projet. Parce que l’évolution est dans la nature même de chaque chose. Ce projet doit se faire. Vous avez mon appui et la garantie que Maarifa Sihr entre dans cette nouvelle ère.

Il inclina brièvement la tête vers Nathan Kiely, l’amitié entre ses deux hommes n’étant un secret pour personne et se rassit. Il fallait que quelqu’un fasse le premier pas. Il venait de le faire. L’amorce du directeur permit donc à tous les autres de se remettre en question peu à peu. Un à un, ils se rangèrent finalement à son avis, énonçant tour à tour leur assentiment malgré le climat quelque peu tendu de cette prise de décision capitale. Aucun n’ignorait les conséquences qu’aurait cette fermeture et chacun tâchait de les accueillir avec le plus de discernement dont il était capable. Il n’était de toute façon plus temps pour la discussion... Mais bel et bien à l’action. Et agir, ils le firent, notamment en désignant à l’unanimité Nathan Kiely, porteur et garant du projet pour en être le Coordinateur, à la tête de ce nouvel établissement, dont il ne manquerait pas de faire le prestige.