Bâillement. La rousse se frotta énergiquement les yeux : il fallait qu'elle reste éveillée. Oui, absolument. Car même si la rentrée ne remontait qu'à une semaine, si ce n'est un peu plus, il y avait déjà de quoi s'occuper question travail. Willow était du genre à s'avancer mais, elle aimait faire les choses bien, faire des choses nettes et développées et donc : longues. Et cela prenait un certain temps à l'Irlandaise pour finir les parchemins de potions et d'histoire qu'on lui avait donné pourtant dès la semaine dernière.

Elle s'était installée dans la salle commune générale. L'année dernière, elle avait l'habitude de s'y installer, appréciant le brouhaha reposant des discutions animées, parfois dans des langues dont elle ne faisait que deviner la provenance. Elle pouvait travailler dans le bruit et ne s'en privait pas. Au contraire, c'était même dérangeant le silence : trop stressant car rappelant l'appartement de sa mère à Londres, souvent vide et silencieux. Elle détestait cela et même étant seule, elle se mettait de la musique dans les oreilles ou commencer à chantonner pour ne pas se sentir... seule justement.

Mais en ce début d'année scolaire, elle avait hésité à revenir ici. En fermant les yeux, elle revoit encore par flash les images terribles de cette nuit : la Lune blanche et pleine trône dans le ciel, visible à travers les baies vitrées; des hurlements de bêtes s'entendent de l'extérieur et créent des frissons à ceux courant en tous sens à l'intérieur... L'incompréhension, les frissons, la peur, la paralysie, la fuite, la cache, l'attente... Tout cela revenait en bloc mais elle était là comme même. Car il le fallait : avancer, continuer son chemin, dans cette même école où un massacre avait eu lieu il y a juste quelques mois.

Elle toucha sa jambe droite sans y penser, ses doigts frôlant ses cicatrices encore sensibles. Elle secoua sa tête comme pour sortir d'un rêve. Non : elle était là pour travailler, il ne fallait pas qu'elle regarde vers le passé, vers le malheur qui s'était déroulé cet été. Elle reprit sa plume et relu son dernier paragraphe sur le Veritaserum, où elle précisait l'utilité des plumes de Jorbabilles, toujours utiles pour les potions liées à la mémoire. Elle avait presque finit son parchemin et lança un coup d'oeil autour d'elle, n'entendant que sa plume gratter. La plupart des élèves étaient partis se coucher, respectant scrupuleusement le couvre-feu encore présent. Et puis, il y avait aussi l'envie d'éviter ce lieu rénové mais où les traces mémorielles de chacun restaient...

Elle revint à son devoir, se décidant à le finir avant que la Lune ne monte totalement à son sommet. Juste éclairée par les lucioles, elle relu certains passages, ajoutant quelques notes, remontant ses lunettes de temps à autres. Ce parchemin semblait correcte pour une matière qui lui semblait un peu trop explosive en pratique et diverse en théorie. Mais son professeur semblait remarquer des progrès en plus de son intérêt sincère : elle ne voulait pas le décevoir. Elle allait faire deux dernières phrases de son encre bleutée et brillante quand une voix l'interpella :

- Hé, tu devrais pas rester là, on va se faire tirer les oreilles si Kassidy nous trouve ici !

Elle arrêta sa plume sur la boucle d'un "l" et jeta un coup d'oeil dans la direction de la voix familière. Un jeune homme aux cheveux châtains et grand se dressait avec un sourire sympathique collé au visage. Istvan Bernhardt lui murmura sa mémoire. Willow ne l'avait pas vraiment revu depuis la Nuit des Loups. Pendant ce moment de ténèbres, elle avait bien vu en revanche. Il avait été présent pour eux tous. Ce n'était pas un courage fou ou une serviabilité exemplaire. Non, c'était comme un devoir qu'il accomplissait. Il allait prêter main forte à tous les étudiants fuyant comme un général aurait relevé des soldats qui seraient tombés en courant sur le front.

Cette image pourtant floue avait marqué la jeune femme et n'avait fait qu'accentuer sa volonté de lui parler. De tout. De tout ce qu'elle savait ou du moins pensait savoir. Cet Istvan n'était pas un simple élève de Salem dans la tête de la rousse. Sa mémoire à son arrivée à Elderwood avait carburé pour trouver où donc elle avait vu ce visage auparavant. Et avait trouvé des traits semblables bien plus tôt dans sa courte vie, alors qu'elle n'avait que quatorze ans et son père venait de mourir, renversé par un chauffard. Elle avait été entouré après cela, oui beaucoup. Beaucoup d'inconnus d'ailleurs, de la police moldue comme des Aurors spécialisés qui étaient déjà sur le dossier de la disparition de Matthew Lewis, plus de sept ans plus tôt.

Et il était là. Oui, Willow en était de plus en plus sûre. Les visages, c'est comme les livres : ça ne s'oublie pas. Et il était là, parmi eux, un Auror parmi les élèves. Il n'y en avait donc pas assez officiellement : il fallait qu'ils évitent les magouilles à la source, directement les déceler aux plus près des élèves. Si elle avait été une autre, elle se serait sentie trahie de cette présence mensongère mais elle n'était pas une autre. Et elle se souvenait de lui et de sa gentillesse. Son attention l'avait fait aller de l'avant alors qu'elle vivait son deuil, même si celui si n'est pas encore totalement abouti aujourd'hui. Elle ne lui en voulait donc pas, elle voulait juste savoir la vérité de sa bouche et fit donc sortir la demande de la sienne :

- Oh! Istvan ! Je croyais que j'étais seule... et qu'il n'était pas si tard... Elle jeta un coup d'oeil à sa montre en posant sa plume. Mais... toi aussi tu devrais descendre au premier, non ? A moins que... tu veuilles finir un truc. Tu révises tes sorts, ta baguette ainsi brandie ?

Elle ne mentait qu'à moitié après tout. C'est vrai que même sans rien savoir, si on a l'oeil attentif, on pouvait facilement se demander ce qu'il faisait lui aussi. Elle s'était levée de sa chaise, regroupant ses affaires, bouchant bien le flacon d'encre et rangeant le tout dans son sac en bandoulière. Mais elle ne partait, non. Pas encore. Elle avait un projet pour cette nuit. Oui, elle avait décidé : ce soir, la vérité serait dévoilée une bonne fois pour toutes, après un an de recherches infructueuses malgré l'aide de sa Tante Kathy appartenant au ministère. La frustration (et peut-être le deuil ?) prendrait fin avec la vérité : elle saurait si oui ou non, cet homme lui avait bien fait retrouvé le sourire et la lumière.

Sourire. Un sourire qui pouvait représenter la joie comme cacher la peine. Mais en cet instant, son sourire, ainsi accompagné de yeux scrutateurs derrière ses lunettes, ne voulait dire qu’une chose : qui piégera qui. Car c’était ça, Willow le sentait dans les yeux du jeune homme bien qu’il détournait les yeux, souriait de manière naturelle… Hum, aussi naturel qu’un Auror infiltré pouvait montrer. Elle ne le niait pas : il était doué. Bon comédien pour bon protecteur. Mais il mentait. La pensée qu’il joue ainsi avec elle, se justifiant par un exercice de Défense Contre les Forces du Mal, lui fit un peu mal. Comment pouvait-il mentir ainsi 12h sur 24… voire plus vu qu’elle ne devait sûrement pas être là.

S’il mentait en cet instant, même si c’était « pour son bien », pouvait-il mentir tout le temps, devant tous les élèves qui sympathisaient avec lui ? Il se souvenait d’elle si elle se souvenait de lui… Oui, c’était sûr. Mais il ne voulait pas aborder le sujet, il ne lui avait pas parlé plus qu'à un autre élève d’ailleurs. Il ne voulait pas qu’on le reconnaisse, il espérait peut-être qu'elle ne le reconnaîtrait pas... et la rousse voulait l’accepter. Sincèrement. Mais elle ne voulait pas qu’il joue avec elle, aussi franchement du moins. Elle était une fille curieuse mais surtout franche et, en cet instant, elle voulait plus que tout que tout le monde soit comme elle. Alors, s’il ne voulait pas lui dire les choses : elle les dirait. Elle finit toujours par faire ça car la vérité à plus d’importance que le bien-être. La vérité ne fait pas du bien au premier abord mais elle peut devenir une amie car étant inaltérable.

- Mais avec la Nuit des Loups, tout ça… On est jamais trop prudent. D’ailleurs, tu t’es plutôt bien remise de… enfin… bien remise quoi. Comment tu t’sens ?

Mauvais souvenir qui revient et que la rousse chasse mentalement, se forçant à sourire alors qu’Itsvan s’approche d’elle. Il ne lui veut aucun mal évidemment. Au contraire, il lui demande si elle se remet. Oui, il faut bien. Elle n’est pas morte : elle peut toujours se remettre… même difficilement, même si ça prend du temps, même s'il reste une autre cassure au fond de son être. Elle ne peut pas lui répondre par une phrase sarcastique, il n’a rien fait pour mériter ça. *Il veut juste être gentil* s’oblige-t-elle à penser pour contrôler ses pensées qui défilent trop vite comme les images de cette Nuit. Elle enlève ses lunettes, pour pouvoir le regarder véritablement en face. A sa question, elle répond donc, aussi calmement qu’elle le peut en de telles circonstances :

- Mal mais mieux. Je crois que c'était une mauvaise idée de revenir… là. Elle parle de la pièce… elle parle de Nameless un peu aussi. Mais elle ne le pense pas vraiment car elle voulait revenir malgré tout. Elle le regarde dans les yeux : Merci. Tu étais là et je n’ai rien dis. Alors merci.

Une pause, lourde de sens. Elle a les yeux qui piquent mais refusent de pleurer. Elle a assez pleuré pour toute une vie, elle ne veut pas que ça recommence. Elle veut juste que ça aille mieux. Car elle sait que le pire arrive toujours avant que ça aille mieux. Et elle se dit qu’Istvan allait peut-être être un de ses petits arcs-en-ciel qui viennent après la pluie, une de ses personnes qui lui font voir comme le soleil est toujours ici, même s’il est caché. Oui, elle voulait croire qu’il serait là. Comme autrefois. Elle ne le voulait pas pour elle toute seule, elle ne voulait pas grand-chose en fait… et encore moins posséder les gens. Elle voulait juste avoir le regard de quelqu’un qui dit que tout va quand c’est pas le cas. Ça, c’est pas la vérité mais elle s’en fiche. Car dans ces moments, quand elle sourit de nouveau : elle est véritablement heureuse, de nouveau. Elle reprend donc :

- Je me souviens. Ça fait longtemps mais je me souviens. De toi venant avec un mug de thé chaud après la mort de mon père. Je me souviens mais… j’aurais aimé ne pas me souvenir. Car en te voyant, y a ça qui revient. Mais c’est pas grave. Maintenant t’es là. Et de nouveaux souvenirs vont venir. J’espère plus heureux.

Et… non. Alors qu’elle finissait sur ce mot à tonalité positive pour la plupart des gens, une larme coula sur sa joue. Elle avait parlé d’une voix calme mais en prenant le temps. Chaque phrase était comme un pas vers la vérité, l’acceptation, la délivrance. Elle savait depuis longtemps qui il était mais elle disait les choses à présent. Ce n’était pas un secret dur à porter qu’elle venait de vider. Non. C’était juste un lourd passé qui l’empêchait d'avancer, de parler de manière sincère alors qu’elle voulait être franche avec tout le monde. Et elle le voulait même avec lui. Et elle le serait. Elle l’espérait du moins. Une fraction de seconde, elle l’imagina en train de dire qu’il ne comprenait pas, soit parce qu’il niait, soit parce qu’il ne se souvenait pas. Mais la fraction de seconde disparût avec cette pensée car Istvan ne pouvait pas faire ça. Non, il n’avait pas le droit de la laisser ainsi. Il devait bien être le même que dans son souvenir, avec son mug The best wizard of the year rempli de thé chaud.