Les mains croisées sous son menton, l’homme au regard sans âge posait ses yeux noirs tour à tour sur les convives, dont les voix se mêlaient, charriant avec elles différents accents venus des quatre coins du monde. Atsuhito Hidekazu, président de cette séance, cherchait les mots pour que ce sommet puisse enfin apporter un semblant de réponse à la crise qui se profilait dehors, sans savoir si, dans le brouhaha ambiant, il serait entendu, lui, ancien Directeur de la prestigieuse école japonaise. Jamais il n’avait vu la fine fleur des continents aussi peu soucieuse des règles et coutumes, parlant tous en même temps, comme des enfants trop turbulents.

- Les différences de culture sont trop grandes ! Nos mésententes étatiques sont de notoriété publique, imaginez les répercutions qu'une telle cohabitation aurait pour nos enfants ! Une telle ambiance ne serait pas propice à une bonne éducation ! L’interrompit abruptement Carles Beaumont.

C’était le plus jeune de toutes les grandes figures mondiales réunies pour parlementer, mais pas le moins bavard.

- Ce serait même une abomination, passez moi l'expression. Les russes n'ont rien à faire avec les américains, et je ne prends cette scission là qu'à titre d'exemple, car cela est valable pour bien d'autres cultures qui, comme l'huile et l'eau, ne peuvent pas être mélangées, c'est ainsi. C'est physique. Surenchérit Stanley Wilson.

Il avait beau lutter pour la défense de toutes créatures confondues, il n’était pas aussi ouvert d’esprit en ce qui concernait la tolérance de certaines cultures étrangères - et opposées - à la sienne.

- Justement, ne serait-il pas grand temps que toutes ces querelles cessent? Nous sommes ici pour discuter de l'avenir, pas pour nous attarder dans le passé. Il serait peut être temps d'avancer. S’interposa la prêtresse du Ghana, avec un brin de lassitude face à ces discours arriérés incessants.
- Oh pitié, épargnez nous les leçons de morale. Le passé est bien là, que nous le voulions ou non. Nous ne pouvons pas renier ce qui nous a construit ! S’insurgea la brésilienne en faisant mine de ne pas voir le regard exaspéré que lui renvoya son homologue africaine.
- Exact, nous sommes trop différents. Renier tout ce qui nous oppose n'est clairement pas une solution envisageable pour un avenir meilleur. L’appuya celle que tous surnommaient la baroudeuse, parcourant l’assemblée de ses vertes prunelles avec un air de défi.
- En disant cela, vous oubliez l'essentiel. Lui rétorqua le respecté Atsuhito Hidekazu, sur un ton bien calme comparé aux soupirs agacés de ses collègues qui avaient fendu l’air. Nos différences nous caractérisent, certes, mais nos ressemblances nous rassemblent, et vous fermez les yeux sur tout ce qui nous unit déjà. Et je ne parle pas de notre humanité, mais de la magie, de ce don qui nous a été fait à tous. Nous sommes réunis ici pour sauver la magie. Elle lie tous nos destins entre eux, irrémédiablement. Ce lien n'est-il pas assez fort pour outrepasser nos différences ?
- Oui, il a raison. La magie coule en nous tous, quelque soit nos coutumes, nos religions et nos couleurs de peau, elle fait notre force à tous. Nous sommes ici pour assurer sa sauvegarde et les efforts de chacun compteront.
- Il en va de la survie de notre monde! Les rixes sont éternelles, nos enfants y seront quoi qu'il arrive exposés un jour ou l'autre. Les rassembler ne serait pas forcément néfaste, mais leur apprendrait également la tolérance.

C’était Ewale Madjou Kou, pourtant peu bavard et préférant l’action à la parlotte, qui avait appuyé les sages paroles de l’impératrice de Chine.

- Aux grands maux les grands remèdes... Ricana Jimmy, alias “Bang”.
- Dommage qu’on n’aie pas encore trouvé de remède pour vous faire taire... Avait grincé Ivan en réponse au sarcasme de l’américain.
- Entendons nous bien, je ne suis toujours pas séduite par cette idée d'union mondiale dans l'adversité. Mais puisque c'est la meilleure alternative que nous ayons... Pourquoi ne pas faire un essai ? Après tout, le berceau de la magie est notre sanctuaire à tous. Envoyons y une élite de nos meilleurs jeunes espoirs et voyons comment ils s'en sortent. Clarifia Mamé Loumengo, exposant le fond de sa pensée avec franchise au risque d’éveiller l’animosité de certains.
- Une élite ? Et l'égalité des chances dans tout ça? Nos écoles se vident et sont au bord de la fermeture, le don s'amenuise, et nous, nous ferions en plus une sélection élitiste ? C'est aller droit dans le mur ! Opposa sans surprise le Général Chilien, clairement contre le fait de ne pas laisser sa chance à tout un chacun - ce n’était un secret pour personne qu’il se ralliait souvent à la cause des laissés pour compte.
- Attendez... Pourquoi pas tenter le coup, après tout ? L'élite serait une expérience, un test. Et si celle-ci s'avère concluante, nous ouvririons cette école universelle à tous. Répliqua enfin Mohandas, droit dans son siège, l’air tranquille, essayant de calmer la rumeur de mécontentement que l’idée avait provoquée.
- Moi ce qui me dérange, ce n'est pas tant le mélange des cultures, mais le fait d'envoyer des mômes étudier au sein même du berceau de la magie. On frôle l'inconscience ! Certes, le nom est vendeur et légendaire. Ce serait un beau symbole, je ne reviendrais pas là dessus. Mais le lieu reste sacré. Revendiquèrent finalement Krüger et son franc parlé.
- Il n'a pas tort. Laissa alors entendre la jeune malaisienne, pourtant bien souvent en désaccord avec son aîné allemand. Nous protégeons ce lieu depuis des millénaires, soudainement l'exposer présente certains dangers.
- C'est la situation qui le veut. La magie n'a jamais été aussi forte que là bas, et avouez que ce que nous attendons, c'est un miracle ! Sans l'aide de la magie originelle, nous avons bien peu de chance de trouver la moindre cure pour empêcher notre extinction...

La conclusion avait été donnée par l’un de ceux que l’on entendait d’ordinaire le moins, Blaine Murdoch, de sa voix douce et tranquille qui tranchait avec son regard vert acéré. Les yeux des grandes figures politiques présentes avaient tous convergé vers lui pour laisser planer un silence éloquent. Puis, peu à peu, des hochements de tête avaient répondu positivement à ses propos, certains plus gravement que d’autres, mêlés à quelques soupirs ténus. Il n’était plus temps de débattre sur le problème, l’urgence était à la solution, et ils n’en avaient pas d’autres.